Focus sur le secteur des cosmétiques en Afrique

Chiffres, Perspectives et Témoignage

Rédigée par Ikbal Mohamed, Mohamed Wilane et Aminata Ouedraogo

Chères Lectrices, chers Lecteurs,

Nous vous proposons pour cette nouvelle newsletter une vue d’ensemble du secteur des cosmétiques en Afrique. La raison pour laquelle il nous paraît important de traiter ce sujet est que la beauté en Afrique revêt, en plus d’une dimension business, une dimension traditionnelle et de savoir-faire, ce qui donne plusieurs angles d’approche au sujet.

Divers produits ont façonné l’histoire et la tradition de la beauté africaine : du beurre de karité, ingrédient phare de la beauté africaine, en passant par le kaolin et l’huile d’argan, utilisés respectivement par les femmes camerounaises et marocaines, sans oublier l’huile de coco, largement utilisée au Bénin et en Côte d’Ivoire.

En ce sens, nous nous intéresserons aux axes suivants :

  • Observer quels sont les principaux facteurs qui rendent le marché africain des produits de beauté si dynamique

  • Comprendre quelles seraient ses évolutions possibles

  • Identifier les motivations qui peuvent pousser à l’entrepreneuriat dans ce secteur

Pourquoi le secteur des cosmétiques en Afrique est si dynamique ?

De nombreuses raisons permettent d’expliquer le dynamisme du secteur des cosmétiques en Afrique et son attractivité.

La première d’entre elles découle d’une réalité globale : les produits cosmétiques sont devenus, à l’échelle mondiale, un besoin journalier et nécessaire. Des personnes nanties aux plus petites bourses, tout le monde en fait usage afin de sublimer son apparence et de se sentir mieux. Le continent Africain s’inscrit, en toute logique, dans cette mouvance planétaire.

Des ressorts démographiques permettent ensuite d’expliquer le dynamisme actuel du marché des cosmétiques en Afrique, ainsi que les projections optimistes que l’on en tire. D’abord, parce que la population africaine devrait connaître une hausse démographique d’un milliard d’habitants, portant la population africaine à un total de 2,5 milliards d’individus en 2050. Ce qui laisse ainsi présager une augmentation de la demande en conséquence, y compris pour les produits de beauté et de soin.

On ne peut faire l’impasse, par la suite, sur l’importance de la jeunesse dans cette demande africaine : 500 millions d’habitants (soit la moitié du continent) ont moins de 20 ans. Ladite jeunesse tend de plus en plus à appartenir à des classes moyennes, ayant bénéficié d’une éducation influencée par les tendances de mode mondiale, ainsi que par la culture occidentale. Cette population constitue une demande potentielle dynamique pour des produits de beauté d’une certaine gamme, auxquels ils peuvent prétendre.

De plus, l’émergence de la classe moyenne urbanisée sur le continent favorise la hausse du pouvoir d’achat, et notamment de celui des femmes qui composent une grande partie de la demande de produits cosmétiques.

Les opportunités et perspectives de développement du secteur

Quelques chiffres clés :

Le marché des produits de beauté en Afrique est un marché dynamique et en pleine croissance. Les estimations du chiffre d'affaires de 2023 avoisinent les 900 millions de dollars. Pour ce chiffre d’affaires est prévu une évolution importante avec un taux de croissance annuel (CAGR 2023-2027) de 12,90 %. Cette dynamique repose d’une part sur l’offre d’une large gamme de produits (en majorité des soins capillaires et pour la peau), et d’autre part sur la variété des canaux de distribution (super et hypermarchés, commerce de proximité, magasins spécialisés et vente en ligne).

Un marché concurrentiel : du leadership des géants internationaux à l’émergence de l’industrie locale

Des acteurs comme L’Oréal SA, Procter & Gamble, API Unilever, Shiseido Co. Ltd et Bayer sont actuellement leaders du marché sur le continent. Cependant, de nombreuses marques issues de l’industrie locale ou de la diaspora ont su émerger au sein du marché avec l’apparition de nombreuses références telles que San Wellness ou Malée. Ces dernières ont pénétré le marché en s’inscrivant dans une stratégie de rupture vis-à-vis des marques occidentales et asiatiques, accordant une insuffisante importance à l’aspect naturel des produits proposés et à la dimension traditionnelle des matières premières utilisées.

Des disparités au sein du continent :

L'Afrique du Sud, le Nigéria et l'Égypte comptent parmi les principaux marchés établis dans le secteur des produits de beauté.

Néanmoins, il y a deux ans, le rapport annuel publié par l’agence de conseil spécialisée Setalmaa soutenait que le potentiel du marché des cosmétiques en Afrique francophone subsaharienne était largement ignoré. A titre d’illustration, le 10 mai 2022, la star Rihanna a annoncé le déploiement de Fenty Beauty et Fenty Skin au Botswana, Zimbabwe, Ghana, Kenya, Nigeria, en Namibie, Afrique du Sud et en Zambie. Le potentiel de l’Afrique francophone n’a pas été pris en compte.

Pourtant, dans les pays subsahariens francophones, le Cameroun et la Côte d’Ivoire sont considérés comme les principales portes d’entrée pour le marché des produits cosmétiques en Afrique Centrale et en Afrique de l’Ouest. Avant la crise du Covid-19, ces deux pays présentaient déjà un potentiel considérable avec 50 millions d’habitants dont 36% appartenant à la classe moyenne, ils innervent un marché de 432 millions de consommateurs et affichent +8 % de croissance en moyenne pour la filière cosmétique sur la période 2014-2019. En 2020, le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Sénégal représentaient ainsi 5 milliards d’euros pour le secteur de la beauté.

En somme, il conviendrait de retenir que le marché des produits de beauté en Afrique regorge de nombreuses opportunités d’investissement car la demande est effective et le marché accessible et potentiellement sous-estimé.

S’inspirer et entreprendre : le parcours de Jehna Tikoudane

Pour conclure, nous vous proposons le témoignage de Jehna Tikoudane, alumnus d’emlyon business school et fondatrice de la marque de cosmétiques Yunâni :

Pourriez-vous dans un premier temps vous présenter ?

Je m’appelle Jehna Tikoudane, j'ai 30 ans, j'habite à Lyon et j'ai créé Yunâni qui est une marque de soins et cosmétiques naturels inspirés de la médecine gréco-arabe. La marque allie à la fois le côté tradition, sur la partie synergie des plantes médicinales qui sont issues du bassin méditerranéen, et modernité sur l'approche in and out donc sur l'offre globale complément alimentaire et soin.

 

Quel a été votre parcours avant de vous lancer dans votre projet entrepreneurial ?

Mon parcours est assez classique. J'ai démarré par un parcours en 4 ans à l’INSEEC, j'ai aussi beaucoup voyagé entre-temps autour de l'Asie et de l'Australie. À mon retour, j'ai suivi le Master spécialisé Entrepreneuriat et Management de l'Innovation au sein d’emlyon business school. J’ai ensuite intégré des postes principalement dans des fonctions commerciales et dans le développement commercial en industrie plus particulièrement.

 

Comment êtes-vous arrivée à ce projet entrepreneurial ? Votre parcours et vos expériences vous ont-ils guidé vers Yunâni ?

Oui ! J'ai été bercée dans l'univers entrepreneurial au niveau du contexte familial et puis j'ai toujours voulu entreprendre mais il fallait que je trouve la bonne idée au bon moment. C’est vraiment pendant le COVID, lorsque j'étais en activité commerciale et que cela ne me plaisait plus forcément que je me suis dit que c'était peut-être le moment de se lancer. Dans mon contexte personnel, j'étais déjà en transition vers la consommation de produits bio et naturels. Produire moi-même des produits naturels et bio représentait en ce sens un projet qui me tenait à cœur et qui me ressemblait. Je suis d'origine algérienne et c'est vrai que ma grand-mère a largement contribué à cet apprentissage des plantes naturelles. Je voulais réaliser un projet qui réunissait à la fois mes origines, la médecine par les plantes et les cosmétiques pour créer une marque qui soit à la fois dans la tradition et la modernité.

 

Pourriez-vous nous en dire plus sur votre marque et sur ses inspirations ? Y a-t-il eu un élément déclencheur, une prise de conscience qui vous a encouragé à lancer le projet ?

Oui, la prise de conscience est passée par le fait d'étudier et d’observer en tant que consommatrice : un constat simple était de réaliser le nombre d’ingrédients polémiques que contiennent les produits cosmétiques de nos jours. À partir de ce constat-là a grandi ma volonté de proposer une marque différenciante et originale au niveau des valeurs véhiculées. L’ouverture au monde sans clivage par exemple avec des cosmétiques qui sont adaptées à tous les types de peaux est une de ces valeurs. Prôner, valoriser différentes traditions et cultures autour des cosmétiques et des plantes dans une dimension portée par le naturel est ce qui constitue le point fort de Yunâni.

 

Pensez-vous que le continent africain a représenté pour vous une source d’inspiration pour Yunâni ? Si tel a été le cas, dans quelle dimension ?

Oui je m’en suis inspirée. L’Afrique est l’un des berceaux de la médecine par les plantes aux côtés de l’Asie. On dit également que l’Afrique est le berceau de l'humanité et ça fait très sens avec Yunâni puisque je vise avec la marque un retour aux sources, un retour vers le naturel. L’Afrique du Nord a également été une grande source d’inspiration puisque j’en tire mes origines.

 

Y aurait-il un sujet sur lequel nous n’avons pas pu discuter jusqu'alors et que vous voudriez aborder ?

Je pourrais aborder le fait qu’aujourd'hui les produits Yunâni ne sont pas encore commercialisés parce qu'il y a une longue démarche de recherche et développement puisque tous les produits sont fabriqués en laboratoire en France. Il y a le travail sur toute la partie des plantes et ensuite sur la formulation, les tests etc. Les précommandes sont lancées sur le site de Yunâni depuis quelques semaines et les personnes qui sont intéressées peuvent d'ores et déjà commander leurs produits dessus.

A très vite pour le prochain numéro !